Crispr/Cas9 pour guérir le Diabète de Type 1?

Jeudi dernier, la rigoureuse et très suivie revue Nature publiait un article depuis largement relayé tant ses conclusions sont encourageantes et ses résultats spectaculaires.

Et pour cause, les « ciseaux génétiques » CRISPR/Cas9 viennent de permettre de stabiliser l’évolution du cancer de patients pour lesquels l’arsenal de traitements connus ne faisait pas ou plus effet!

1 point pour Crispr/Cas9!

Mais au fait, qu’est-ce que c’est, Crispr/Cas9?

Est-ce qu’il y a des risques à l’utiliser?
Et….est-ce que ça pourrait marcher pour guérir le diabète de type 1?

Crispr-Cas9, c’est quoi?

Certaines archées, des micro-organismes, et certaines bactéries, sont équipées pour se protéger des infections virales.

Elles réalisent ce tour de force grâce à des enzymes appelées Cas9, capables de couper des liaisons entre deux nucléotides.

Elles permettent de casser l’ADN de certains virus, les rendant inactifs, ce qui leur donne l’appellation de « ciseaux moléculaires » ou « ciseaux génétiques ».

Ce mécanisme fait partie du système immunitaire adaptatif de ces micro-organismes, l’équivalent de nos anticorps, spécifiques, qui font appel à la mémoire immunitaire.

CRISPR, dérivée du système immunitaire de bactéries, utilise une nucléase Cas9 et une séquence d’ARN pour induire des cassures double brin dans l’ADN et modifier spécifiquement le gène ciblé.

Des variantes de la technique permettent également de réduire ou d’augmenter l’expression d’un gène choisi.

Cette technologie peut donc être utilisée pour permettre de comprendre le rôle d’un gène, et pour développer des thérapies pour des maladies héréditaires et acquises.

En sachant que CRISPR-Cas est une combinaison unique pour chaque transformation souhaitée, il faut développer une nouvelle combinaison pour chaque pathologie.

Cette technologie a été découverte en tant que traitement possible pour certaines pathologies en 2012 par la chercheuse française Emmanuelle Charpentier, et la chercheuse américaine Jennifer Doudna, qui ont toutes deux obtenu le prix Nobel de chimie en 2020 pour ces travaux.

Depuis, les avantages potentiels du système d’édition de gènes CRISPR ont été défendus par un large éventail de chercheurs, de cliniciens et de sociétés de biotechnologie.

Crispr/Cas9 et diabète de type 1

Mais alors, peut-on envisager que cette formidable boîte à outil soit appliquée au diabète de type 1?

Eh bien, il semblerait que oui!

En 2021, les sociétés CRISPR Therapeutics et ViaCyte ont obtenu l’autorisation de l’agence de santé canadienne Health Canada pour lancer un premier essai clinique utilisant Crispr/Cas9 pour guérir le diabète de type 1.

Appelée VCTX210, cette thérapie utilise des cellules souches qui proviennent du bénéficiaire de la thérapie (thérapie dite allogénique).


Elles permettront donc la création de nouvelles cellules bêta à partir de l’ADN du bénéficiaire.

Mais contrairement à d’autres thérapies, une fois différenciées en cellules bêta et réimplantées chez le bénéficiaire, elles échapperont à la réponse immunitaire qui les détruit habituellement chez les diabétiques de type 1 grâce à leur modification par la technologie CRISPR/Cas9.

Cette avancée est donc majeure car elle ne nécessite pas de traitement immunosuppresseur, elle est dite immunoévasive.

La première phase de l’essai clinique in vivo a démarré en février 2022 sur 10 diabétiques de type 1 volontaires, et doit se terminer en décembre 2022.

Après avoir validé la preuve de concept, cette phase clinique doit évaluer l’innocuité, la tolérabilité et l’évasion immunitaire du traitement.

En pratique, le VCTX210 sera très probablement livré via le dispositif PEC-DIRECT développé par ViaCyte.

Cette poche est conçue pour que les vaisseaux sanguins puissent pénétrer dans l’appareil et interagir directement avec les cellules implantées.

Ainsi vascularisées, les cellules qui composent l’implant ont toutes les chances de s’intégrer de façon stable à l’organisme du bénéficiaire.

Le problème des effets hors-cible

Une des limites à une utilisation pour large de la technologie CRISPR/Cas9 restait la tendance de l’enzyme Cas9 à agir sur des sites non ciblés. 

C’est ce qu’on appelle les effets hors-cible, ou « off-target ».

Ce des mutations involontaires qui surviennent sur des séquences ressemblant à la cible, mais n’étant pas cette cible.

Mais ce sera peut-être bientôt de l’histoire ancienne.

Ainsi, en 2017, des chercheurs de l’Université de Californie, de Berkeley et du Massachusetts General Hospital ont identifié une région clé au sein de la protéine Cas9, le domaine REC3.


Cette région détermine la précision avec laquelle CRISPR/Cas9 se concentre sur une séquence d’ADN cible.

Les chercheurs sont parvenus à modifier un acide aminé au sein de cette région pour produire un gène bien plus précis, avec le plus bas niveau de coupe hors cible à ce jour.

En résumé, comme l’indique Janice Chen, qui a travaillé avec Jennifer Doudna, la co-inventrice de CRISPR/Cas9, sur cette étude: « Nous avons pu trouver le sweet spot où il y a suffisamment d’activité sur la cible prévue, mais aussi une forte réduction des événements hors cible ».

Des résultats également publiés dans la revue Nature dans un article intitulé La relecture améliorée régit la précision du ciblage CRISP–Cas9.

CRISPR-Cas9 gagne donc de plus en plus en précision, limitant ainsi les risques d’effets hors-cible.

Encore une nouvelle encourageante!

L’éthique de Crispr/Cas9 et le cas de Lulu et Nana.

CRISPR/Cas9 est un outil unique pour la recherche biomédicale et qui commence déjà à permettre des applications thérapeutiques inespérées. 

Mais que penser du cas Lulu et Nana?

À mi-chemin entre fait divers et étude clinique, cette « affaire » a fait grand bruit en 2018.

Lulu et Nana sont deux jumelles chinoises qui ont vu le jour par fécondation In Vitro sous le contrôle du chercheur biophysicien chinois He Jiankui, de l’université de Shenzhen.

Crispr/Cas9 a été utilisé pour modifier génétiquement l’ADN des deux embryons.


Leurs deux parents étant séropositifs (porteurs du VIH), il s’agissait d’introduire dans leur génome une mutation du gène CCR5, qui, lorsqu’elle est présente chez deux parents, rend les enfants résistants au VIH.

Non-consentement des patients qui n’étaient encore que des embryons, consentement « forcé » des parents, manque de recul sur l’innocuité de la procédure,….de nombreuses raisons ont poussé la communauté scientifique internationale à désapprouver largement cette expérience. 

Et quelques année plus tard, il semble que la procédure n’a pas eu l’effet escompté.
En effet, seule l’une des deux jumelles présente la mutation ciblée du gène CCR5, et pour l’autre, elle n’est exprimée que dans la moitié des cellules.

Le manipulation semble également avoir introduit des mutations imprévues, selon l’article proposé par l’équipe de He Jiankui, qui explique toutefois qu’il s’agit d’une modification sans conséquence biologique.

On peut toutefois noter que l’article présentant les résultats de cette expérience a été refusé par la revue scientifique Nature à laquelle il avait été soumis pour publication, en partie pour son manque de rigueur scientifique.

Le responsable de l’OMS d’alors, Tedros Adhanom Ghebreyesus, avait d’ailleurs vivement condamné le travail de He Jiankui, indiquant qu’une telle expérience « ne peut avoir lieu sans des directives claires ».

L’OMS a ensuite réagi en constituant un groupe de travail « pour discuter des critères et des directives pouvant répondre aux problèmes éthiques et de sécurité au sein de la société ».

Crispr/cas9:

https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2015/12/medsci20153111p1014/medsci20153111p1014.html

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1957255720300213?fr=RR-2&ref=pdf_download&rr=769f5dde7d7cd2b9

Crispr/Cas9 et cancer:

https://www.nature.com/articles/s41586-022-05531-1

https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cancer/premiere-une-nouvelle-strategie-utilise-les-ciseaux-genetiques-crispr-cas9-contre-le-cancer_167570

Crispr/cas9 et diabète de type 1:

https://crisprmedicinenews.com/news/first-crispr-therapy-for-type-1-diabetes-set-to-enter-clinical-trial/

https://crisprtx.gcs-web.com/news-releases/news-release-details/crispr-therapeutics-and-viacyte-inc-start-clinical-trial-first

https://www.biospace.com/article/crispr-and-viacyte-announce-phase-i-clinical-trial-for-type-1-diabetes/

https://crisprtx.gcs-web.com/news-releases/news-release-details/crispr-therapeutics-and-viacyte-inc-announce-first-patient-dosed

https://viacyte.com/pipeline/

Augmentation de la précision et diminution des effets hors-cible:

https://www.nature.com/articles/nature24268

http://www.genengnews.com/gen-news-highlights/mutations-making-crispr-hyper-accurate-discovered/81254955

Lulu et Nana

https://www.letemps.ch/sciences/une-annee-apres-fiasco-bebes-genetiquement-modifies

https://www.technologyreview.com/2019/12/03/131752/chinas-crispr-babies-read-exclusive-excerpts-he-jiankui-paper/